Guillaume Lamarre
Le Super Bowl 2025 : toujours la grande messe du storytelling ?
Guillaume Lamarre
— 12 février 2025 —
Brand Culture
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Storytelling

Noël, pour moi, c’était la preuve que je faisais partie d’une famille nombreuse. Pendant des années, le 24 au soir, on se retrouvait chez mes grands-parents, dans leur appartement haussmannien derrière la place Léon Blum. Ça sentait bon le parquet ciré, la cuisine au beurre et les épines de sapin. Les oncles, les tantes, les cousins, tout le monde était là. Le rituel était immuable : les enfants mangeaient avant les adultes, puis on enfilait nos pyjamas pour aller dormir tous ensemble dans la même pièce au fond de l’appartement. La chambre de mes grands-parents était ornée de photos de types en uniforme aux moustaches retroussées, y régnait un parfum d’Eau de Rochas et un peu de poussière humide aussi. On luttait contre le sommeil, mais il finissait toujours par nous emporter. Jusqu’à ce que, vers deux heures du matin, on vienne nous réveiller. Je savais que j’avais entendu des chuchotements, des froissements de papier, des rires étouffés. Et en ouvrant les yeux, j’avais cette certitude, j’allais être gâté.
Croyez-moi ou non, en me levant ce lundi matin, j’étais dans le même état d’excitation. Pourquoi ? Parce que c’était le lendemain du Super Bowl, bien sûr. À un détail près : je ne savais toujours pas quelle équipe avait gagné, parce que ça m’est complètement égal.
Le Super Bowl, un festival du storytelling publicitaire
Depuis quarante ans, la finale du Super Bowl est, avec les Cannes Lions, l’un des événements majeurs de la publicité. Cette année, 126 millions de spectateurs ont suivi le match. Cinquante-sept publicités y ont été diffusées, chacune occupant un espace convoité où 30 secondes valent 8 millions de dollars. Chaque spot est un événement, autant pour l’annonceur que pour l’agence qui l’a conçu. C’est aussi une façon de démontrer pour les entreprises qu’elles font partie de la partie.
Mais au-delà des chiffres, le Super Bowl a été pendant longtemps un laboratoire du storytelling. Pour cette année, plutôt que de vous livrer un top 5 que vous trouverez partout ailleurs, j’ai préféré analyser les spots qui utilisent réellement les ressorts narratifs et surtout identifier quels outils du storytelling ont été mobilisés.
Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, parlons du véritable show de la soirée.
Kendrick Lamar : un storyteller en pleine maîtrise
Si une performance a marqué cette édition, c’est bien celle de KL. Avec 133,5 millions de spectateurs, il a livré un spectacle qui était bien plus qu’un simple concert : une démonstration de storytelling.
Tout au long de son show, il a installé une tension dramatique : allait-il ou non interpréter Not Like Us, le morceau qui symbolise sa rivalité avec Drake ?
Kendrick ne se contente pas de rapper : il référence et s’autoréférence en permanence, tissant une culture commune avec son public, créant une mythologie collective propre aux codes de son univers, à l’instar d’un Spike Lee en son temps.
Tout avait été pensé et mis en scène, des symboles américains détournés — Uncle Samuel L. Jackson, le drapeau américain tissé de danseurs afro-américains — la mise en scène de ses propres codes visuels — son pendentif orné d’un « a » minuscule (référence à une des punchlines de Not Like Us), Serena Williams, ex-copine de Drake, qu’on aperçoit danser la crip walk de Compton. Et bien sûr, une petite pincée de marketing et de placement de produits avec notamment Buick, Nike, Converse, Heinz et sa propre marque pgLang. Mais peut-être que, grâce à ce show, j’ai aussi compris la véritable signification du titre Not Like Us : pas comme les US… surtout quand on sait que le nouveau président était en tribune.
Passons maintenant aux publicités et examinons pourquoi certaines peuvent être intéressantes, pour nous, d’un point de vue narratif.
1. Parce que c’est dans les vieilles casseroles qu’on fait les meilleures soupes
Deux conflits grégaires pour commencer. Le moteur d’une bonne histoire reste le clash, l’obstacle, l’ennemi. Certaines marques ont tout misé sur des rivalités bien senties face à des adversaires :
La saga Dunkin’ continue avec Ben Affleck et une ribambelle de célébrités qui s’ambiancent contre un concurrent imaginaire.
Google Gemini vs. ChatGPT d’Open Ai, qui ont livré une petite bataille par spots interposés. ChatGPT valorisant l’efficacité de son exécution sans vraiment faire appel à une histoire — sa première présence suffisant à raconter un truc — et Gemini, de son côté, jouant la carte du storytelling — plutôt efficace — avec un spot mettant en scène un père s’entraînant à passer un entretien d’embauche.
Un petit conflit intime pour finir et pour Pfizer mettant en scène ce jeune garçon qui boxe contre une méchante maladie, pas beaucoup de storytelling ici, mais quand même, une petite intrigue de « Terrasser un dragon », ça ne mange pas de pain, ça ne laisse pas de miettes.
2. Parce ce que le meilleur raccourci pour faire du storytelling n’est pas forcément de passer par les mines de la Moria, mais plutôt de mobiliser un genre
Je parle beaucoup plus des genres et beaucoup mieux d’ailleurs, dans la deuxième édition de L’art du storytelling. Cela reste une porte d’entrée très accessible pour raconter une histoire en faisant appel à l’inconscient collectif :
Premier genre narratif, science-fiction et horreur avec comme genre scénographique, le réalisme magique. Tubi TV (une plateforme de streaming US) nous propose un univers dystopique où tout le monde est doté d’un appendice sur la tête en forme de chapeau représentant le genre dont il est fan. Sauf que le héros du spot naît avec un chapeau de cow-boy alors que tout le monde est à fond sur l’Heroic fantasy. C’est pour moi, sans doute, le meilleur spot de cette édition. Peut-être même que, un jour, je vous dirai pourquoi.
Deuxième genre narratif, l’Heroïc fantasy justement, sous la forme d’un conte, avec le constructeur automobile Ram qui met en scène l’acteur Glen Powell dans une version sous testostérone de « Boucle d’or et les trois ours », en effet, rien de tel qu’un 4×4 avec la taille d’un pavillon à Orly pour exalter les fondements d’une société patriarcale.
3. Parce qu’une histoire sans intrigue c’est comme des rillettes sans cornichons
Certaines marques l’ont bien compris avec la quête, notamment Budweiser et un cheval qui a décidé de ramener à son maître un des fûts de bière tombé de sa charrette (si, si).
Et l’enquête menée par Matthew McConaughey contre ce qu’il identifie comme une conspiration qui nous pousse à manger lorsqu’on regarde un match de football américain (si, si aussi).
4. Parce que sans faire forcément du storytelling, on peut taper dans le classique
Comme le spot reprenant la mécanique éculée du « qui m’a volé mon Nesquik ? » Cette fois-ci, c’est Doritos qui s’y colle, avec des extraterrestres. C’est sympa, mais juste pour la mise en scène.
Enfin, la sempiternelle Pep Talk de Nike, qui revient dans le game en mettant en avant ses athlètes féminines, c’est beau comme une photo de Salgado, mais voilà, quoi, est-ce que ça suffira pour la génération Z abandonne ses Salomon ?
5. Les ratés, parce que le storytelling ça ne se force pas, non madame…
Tout n’était pas réussi cette année. Notamment, Häagen-Dazs qui a tenté un pastiche de Fast & Furious, mais c’était Not So Fast, Not So Furious comme ils ont cru très bien le dire. Et aussi, Hellmann’s — une marque de mayonnaise — qui a voulu rejouer la scène mythique de « Quand Harry rencontre Sally » chez Katz’s Deli, mais même Sydney Sweeney n’a pas pu sauver l’affaire.
Une meilleure cuvée que l’année dernière ?
Globalement, cette édition du Super Bowl a mieux exploité le storytelling que l’an passé. Mais certains travers demeurent, notamment cette tendance agaçante des stars qui jouent à être elles-mêmes… sans vraiment l’être ou à apparaître sous la forme d’un cameo quelque part derrière un pot de fleur.
Pour conclure, le storytelling publicitaire n’évolue plus tant que ça. Cette année encore, c’est le show du cousin Kendrick qui animera les conversations à la machine à café, mais malheureusement plus dans les cours de récré.